DE QUEL COTÉ LA NUIT TOMBE
L’œuvre éponyme de l’exposition, créée pour l’exposition, germe dans l’esprit de Denis Falgoux depuis très exactement dix-sept ans et illustre ainsi le long temps qui lui est nécessaire pour laisser « reposer » une forme, exécuter de nombreux dessins en rapport et passer au volume. En l’occurrence ici, des volumes modelés selon une mise en œuvre avec laquelle il renoue après des années d’oubli.
Commençons par l’origine : depuis la résidence d’artistes à Moly-Sabata en 1993, il est resté en relation avec Ann-Kathrin Feddersen et en 1995, a trouvé chez elle un supplément de Die Zeit Literatur avec des photographies de différents organes (1), dont un intestin grêle et un cerveau, qu’il a conservé précieusement et en partie recouvert, sachant qu’un jour il en ferait quelque chose… Mais quoi ? Puis a repensé aux formes de cet intestin grêle, peu après les premiers essais de Vierges, pour la dimension païenne des croyances liées à cet organe.
Venons-en au titre. Dans les textes ne le verbe « tomber » ou ses dérivés reviennent obsessionnellement. C’est dans le texte « C’est vie » que se trouve l’origine de ce titre choisi par l’artiste qui écrit « la nuit arrivait sur le côté pour pouvoir tomber ». Effectivement, les sculptures tombent, ou plus exactement se posent, tiennent sur leur « stable », pour reprendre un substantif ne, là où leurs formes complexes le permettent, à l’endroit choisi par l’artiste.
Celui-ci explique clairement que ce point de départ au plus haut point figuratif lui a permis de sculpter enfin de manière abstraite. Ce qu’il ne savait pas c’est que l’intestin photographié dans Die Zeit était embaumé (et pas forcément un intestin humain (2)). Mais peu importe, c’est la magie des formes chantournées et redentées qui l’a emporté et qui l’a conduit à inventer, à réinventer cet organe. La séduction plastique a été accompagnée d’une réflexion sur le sens symbolique des entrailles « la partie la plus profonde de l’être » ainsi définies dès le XIIIe siècle, au sens figuré et littéraire « ce qui se passe dans l’âme, à l’intérieur d’un corps social » (3). Une lecture d’un poème de François Cheng, durant l’été 2011, a séduit l’artiste. En voici deux vers éloquents :
« Chemin de vie qui serpente
Des entrailles jusqu’à la crête… » (4)
Jardin secret
1. Plusieurs artistes contemporains travaillent à partir des organes, le plus souvent le cerveau, et de manière fort différente. On peut citer, par exemple, Wim Delvoye, Marjolaine Dégremont, Huang Yong Ping ou Jan Fabre.
2. Le texte « Der Dünndarm », paru le 7 avril 1995 dans un supplément Die Zeit Literatur, a depuis fait l’objet d’une tentative de traduction par Karine Plane, rendue hasardeuse par le recouvrement d’une partie des textes par Falgoux car hors contexte. Au verso d’un des dessins, on découvre le nom du photographe Rainer Leitzgen et de l’écrivain Günter Herburger…
3. Ces deux définitions sont extraites d’Alain Rey, Dictionnaire Historique de la langue française et du Grand Robert de la langue française.
4. Les cantos toscans, 1999, lu dans le recueil À l’orient de tout, Poésie Gallimard, 2005, p.139.
5. Questionné sur sa connaissance de la collection des ex-voto gaulois en bois de la source des Roches à Chamalières (musée Bargoin, Clermont-Ferrand), l’artiste précise s’être rendu les contempler à de nombreuses reprises lors de ses années d’étudiant aux Beaux-arts. Or, certaines plaquettes anatomiques présentent des intestins.
2012
Installation de huit sculptures grès de Saint-Amant-en-Puisaye
30 x 25 x 20 cm pour chaque sculpture