PARTAGER SON IMAGE DISPARUE
« les Vierges » sont produites dans un matériau jusqu’alors inconnu dans son œuvre : la porcelaine de limoges ce matériau précieux et fragile s’est imposé pour ces statuettes en raison du caractère particulièrement sacré du sujet, dans un sens universel et dans son rapport à l’histoire de l’art chrétien, dans laquelle marie est la figure féminine la plus représentée et, par ailleurs, « la femme la plus citée dans le coran ».
Isabelle Carreau-Parcoret
Elles sont soixante et vont par deux (1).
Réfléchissant l’une à l’autre leur surface proportionnellement inversée d’émail bleu et de biscuit blanc, entre matité et brillance. Ce bleu est une version dégradée du bleu de Lourdes, obtenu après bien des essais, pour un résultat d’un bleu laiteux et uniforme : « Je cherche à soigner la couleur bleue et la séparation qu’elle crée », explique l’artiste. Des troncs, des mains divinement allongées, des voiles, une face lisse et sans visage composent les statuettes. Les plis cassés de la coiffe, les mains, les pouces démentent l’apparente symétrie des Poupées voilées.
Denis Falgoux poursuit ici plus que jamais la relation qu’il entretient depuis toujours avec la religion issue de son éducation. Celles qu’il nomme « les Vierges » sont produites dans un matériau jusqu’alors inconnu dans son œuvre : la porcelaine de Limoges. Ce matériau précieux et fragile s’est imposé pour ces statuettes en raison du caractère particulièrement sacré du sujet, dans un sens universel et dans son rapport à l’histoire de l’art chrétien, dans laquelle Marie est la figure féminine la plus représentée et, par ailleurs, « la femme la plus citée dans le Coran » (2). « L’histoire de Marie dans l’art poursuit donc sa course entamée dès le IVe siècle ».(3)
2012
installation avec 60 statuettes en porcelaine de limoges
39,5 x 27 x 19 cm chaque, sur table de 700 x 130 x 300 cm
Les sources de ces sculptures sont multiples et beaucoup se trouvent dans le film ne, par la présence de Manon, fille de l’artiste, dans diverses poses coiffée d’un voile, de différents types de voiles photographiés par l’artiste, de statues de Vierges en majesté romanes.
C’est dans la séquence Stop église du film ne que les statuettes sont évoquées le plus explicitement par Falgoux qui dit « stop à cette représentation toujours instranciée [NDLA: comprendre intériorisée, insensée et impossible de trancher] inspirée de la lumière et de l’ombre partager son image disparue ».
Comme rarement, Falgoux se livre sur ses sources d’inspiration. Il rappelle que la statue romane d’Orcival, vue en particulier pour la messe et la procession de l’Ascension, a été son premier contact avec l’art, avec l’histoire de l’art. Pour lui qui puise son inspiration aux sources de son enfance, la majesté d’Orcival fonctionne comme une imago. Des statues de Vierges en Majesté d’Auvergne qu’il photographie fréquemment, sont aussi issus la frontalité, le parallélisme, l’allongement des mains et le double voile. Il fait remonter le déclenchement de l’idée à la vue d’une statue de pacotille durant l’été 2004 à Saint-Jean-de-Buèges.
Jardin secret
Ces dessins montrent une véritable quête sur la gestuelle des mains : un ou deux index sur la bouche, main soufflant un baiser, mains couvrant le nez… Les dessins en rouge et bleu, avec le corps trapu et les mains démesurément grandes et épaisses évoquent les paysannes peintes vers 1908 par Malevitch, artiste clef chez Falgoux. Mais les mains ont pris au final un tout autre aspect. Les doigts sont effilés, presque maniéristes, de part et d’autre du visage que les mains ne touchent pas. Falgoux a cherché chez Ingres, dans les jeux de mains de ses nombreuses Vierges (4). Puis a préféré rassembler les mains de part et d’autre du visage, pensant au Cri de Munch. Et la chaleur du four les a légèrement écartées…
Par leur présentation sur une table, l’artiste parle d’offrandes en référence à « la Cène, et à la mise en scène proche du théâtre dansé contemporain ».
Pour la première fois elles sont présentées en foule, en errance, les mains en porte-voix, en duo ou toutes ensemble, comme dans le chœur antique, en tribu d’orantes qui ne prient pas.
1. Les prototypes des sculptures ont été réalisés à l’École nationale d’art de Limoges (ensa).
En 2009, le projet ne reçoit une bourse de la Ville de Paris, en particulier pour la réalisation de l’installation Partager son image disparue, pour la première fois présentée ici.
2.Voir en dernier lieu le catalogue de l’exposition Regards sur Marie, le Puy-en-Velay, 2011, en particulier le lumineux texte de François Boespflug, o.p. « Stat Maria… en manière d’avant-propos» (pp. 8-11) dans lequel l’auteur souligne en particulier l’actualité de l’iconographie mariale.
3. François Boespflug, op. cit., p. 8.
4.C’est un tableau précis qui a retenu son attention La Vierge couronnée dite Underwood de 1859, que Ingres considérait comme la plus belle, celle qui ouvre ses mains et les tourne face à nous (New York, collection particulière).